Doutant du
regard
doutant de la voix
doutant du passage réel
de l'amour dans les bois enroués par l'hiver
Suivant le
courant
la voie des rivières
relisant du cœur
les points les accents la course légère
de ses lignes bien espacées
Doutant
redoutant
l'arrêt du soleil
des songes du temps des dons du sommeil
ne redoutant plus
l'air en mouvement l'écriture claire
liant reliant
déliant l'émoi
de sa mécanique légère
Toi, et ton cri de joie au téléphone avant même de parler Toi, transfigurée à l'écoute d'un poème, essoufflée comme si tu venais de courir sur un tapis d'étoiles Toi, répétant l'oracle "c'est beau ! c'est beau ! c'est beau !" avec cette voix d'enfance qui n'est pas une voix d'enfant Toi, la tête souvent à la renverse Toi, riant Toi, riant par-dessus toute rumeur Toi, riant d'un rire de source, d'un rire espiègle, d'un rire de bienheureuse espiègle, d'un rire de surprise et d'éveil Toi, que j'embrasse pour la première rue de Sommerard, puis dans la cour du musée de Cluny Toi, te conduisant très mal sur un banc du jardin du Luxembourg Toi, seule spectatrice, immobile dans l'ombre du théâtre Molière pendant trois heures de répétition Toi, lovée, le regard mauve Toi, riant du chahut d'une horde d'Anglais dans la chambre d'à côté Toi, riant de mes vanités d'homme trop occupé Toi, riant en prenant l'ascenseur Toi, te conduisant très mal sur la moleskine du Café Français Toi, seule spectatrice, immobile dans l'ombre du théâtre du Rond-Point pendant trois heures de répétition Toi, têtue, dents serrées, secouant tes cheveux Toi, virevoltant, mimant une jonglerie avec les feuilles d'automne et le vent Toi, dansant au bas des vignes de Montmartre, rue Saint-Vincent Toi, te conduisant très mal à l'arrière du scooter et m'empêchant de conduire Toi, bouche et ongles Toi, paroles fauves Toi, perdue dans la foule du théâtre des Cultures du Monde et t'enfuyant pour ne pas rompre la magie Toi, avec la grâce d'une gravité très douce évoquant le danger Toi, chuchotant le nom de tes amis morts Toi, caressant le caillou bleu semé d'une poussière d'or que je viens de t'offrir Toi, les yeux pleins de larmes à ton retour de Dharamsala Toi, en équilibre sur la rambarde de fer me repérant de loin en bondissant Toi, abandonnant tout et tous au milieu d'un repas quand j'appelle à l'improviste Toi, l'émerveillée qui émerveille Toi, l'impulsive à l'infinie tendresse Toi, l'irradiante qui s'offre paumes ouvertes au soleil Toi, t'étirant dix minutes au téléphone si je te réveille à midi Toi, et ce qui n'appartient qu'à nous Toi, riant à mon épaule Toi, riant de trois nuits sans sommeil Toi, riant dans un matin de pluie légère à Lisieux, et me disant : tu m'en fais voir du pays ! Toi, te conduisant très mal sur une banquette de train, à l'aller comme au retour Toi, la plus pudique des impudiques, la plus conquérante des dépossédées Toi, passionnément démunie et distribuant partout le trésor des songes Toi, pleurant du fond de l'âme sur une épouvante qui me concerne seul Toi, pas à pas avec moi dans cette géhenne intime Toi, soignant les pires douleurs avec un peu d'azur récolté chez les dieux Toi, glissant une rose sous ton blouson, contre ta peau Toi, entrant à reculons sous le proche du faubourg Saint-Antoine en me jetant des brassées de baisers Toi, et l'écho de ton rire sous la voûte Toi, téléphonant des pentes du Dhaulagiri, la voix voilée par l'altitude
Toi, m'envoyant encore des lettres des quatre coins du monde huit jours après ta mort
Toi, léguant aux migrations de l'univers le chant de notre amour
André Velter, Le septième sommet - Poèmes pour Chantal Mauduit, Gallimard, octobre 1998
Ailleurs : - Le site d'André Velter - La page sur André Velter sur le site BiblioMonde - Interview d'André Velter sur "Actualitté.com"
les anciens avançaient dans le silence des tuiles
la ville est ravinée quand on arrive par le nord là se lit encore l’étonnement
des viaducs
les portes de la cité crissent elles donnent sur
ces avant-postes où les ouvriers chancellent dans la pagaille les pas des
travailleurs creusent la terre perçue comme une farine du temps
mes propres pas tracés au carbone sur les misères
du passé j’avance la pensée déchirée dans l’usure des jours
des femmes devant déhanchées s’estompent toutes
sont ébauches de formes l’arc pelvien sur le vide tendu je me retrouve là où
les magasins sentent donnant sur des rues aux vertèbres bloquées
comme un mendiant adossé aux portes du commerce
l’azur est dépendant la mer peut se retirer étaler ses déchets en pure
indifférence
parfois pourtant des étés reviennent sur le haut
des ruelles les hommes suent déjà
le regard des femmes aux hanches de madone
s’avive et l’on tourne les pâtes échouées sur la chair des clovisses
les paroles tressées à l’envers des filets
traînent dans la chaleur des plats l’épice du vin est retrouvé la ville alors
fournit des hommes
jusqu’à ce que la nuit chavire dans la chair des
buveurs
et le béton comme un couteau revient désosser les
épaules de l’aurore quand la lumière s’est installé la lame s’en prend aux
cartilages urbains
parce que les avenues quotidiennement taxées
n’ont plus d’obligation de sens les entrailles de la ville acceptent toute
action qui serait un spasme
ces places rues immeubles croisements ont besoin
d’hivers tant il est de souffrances et de solitudes attachées à la torpeur des
jours
pourtant ce paysage était de nature à accepter
nos péchés à les laver il suffisait parfois d’une baigneuse au linge blanc pour
que la mer retrouve des formes et la grâce
maintenant elle est comme un œil clos avec ses
plissures toujours reviennent au même endroit ces êtres de limpide détresse
l’eau elle-même grimace la grève s’étire sur sa hanche luxée
une ville dont les immeubles sont parfois coupés
de statues femmes aux fenêtres le regard creux mais il est encore tout de même
des places et des arches où l’on peut se nicher
le sang des odeurs caillé par le gros sel s’y
dépose sur les dômes
la fête aux étals des carcasses apprêtées en
sacrifice de Pâques cette fête se tient dans l’or encadrée de miroirs rituels
les éclats du soleil disent la pénitence des boucheries
inlassablement se recompose le temps biblique ces
chants viennent de loin qui charrient avec eux le sable les plaques des vitraux
s’agenceront pour recréer les corps
Yves Ughes, Décapole, L'Amourier Editions, 2002
Ailleurs : - Un entretien sur le site Francopolis.net - La page consacrée à Yves Ughes sur Terre à ciel - Le blog de Marc Monticelli
J'ai commencé à aimer ton âme Puis tes regards Puis tes paroles qui font ta voix Puis la buée humide de ta bouche Je t'ai aimée comme tu m'as aimé Depuis ton obscurité enneigée. Mets cet amour partout en toi Mets sa source dans les gouttes d'eau Sur ton visage en sueur Dans la fin de l'indolence que tu ne caches pas toujours Mets-le dans ton enfant qui porte une rose Et sur tes épaules, bien étroites Que tu places en avant quand tu as froid Juste là sur tes seins séparés par des champs de marguerites Après un plateau infini Et sur ton hâle aussi, trace d'un incendie ancien Sur la chute de tes cheveux sur les côtés, sur leur division Mets-le sur la mélancolie qui commence à ton front, finit à tes chevilles Sur celle donc qui n'est pas tienne mais t'entoure comme un vide Mets-le dans les quartiers d'une ville dont tu te souviens par fragments Qui voltigent comme neige et chaque jour s'allègent Mets cet amour partout en toi. J'ai jeté à la mer tout ce que j'ai goutté Tout ce que je sais vient aussi de la mer Mets aussi cet amour comme une mer Fais-le écumer Fais-le vieillir qu'il ne comprenne pas la tristesse Mais arrête ! chaque mer est vieille en tout cas Elle n'apprend pas le bonheur mais l'enseigne Notre amour est aussi semblable à de beaux poèmes Comme pour tout le monde. Il doit ressembler au deuxième goût du coquelicot Né du premier Car il change la passion en amour. Moi maintenant comme un étranger qui sourit Comme un pays que tu ne connais pas Comme un temps dans lequel tu ne vis pas Exactement comme le bonheur Tu m'attends M'attendant tu l'attends
Edip Cansever, J'ai commencé à aimer ton âme in Action Poétique n° 199 - mars 2010
İçinden doğru sevdim seni
Bakışlarından doğru sevdim de
Ağzındaki ıslaklığın buğusundan
Sesini yapan sözcüklerden sevdim bir de
Beni sevdiğin gibi sevdim seni
Kar bırakılmış karanlığından.
Yerleştir bu sevdayı her yerine
Yüzünde ter olan su damlacıklarının
Kaynağına yerleştir
Her zaman saklamadığın, acısızlığın son durağına
Gül taşıyan çocuğuna yerleştir
Ve omuzlarına daracık omuzlarına
Üşümüş gibisin de sanki azıcık öne taşırdığın
Tam oraya işte, uçsuz bucaksız bir düzlükten
Bir papatya tarlasıyla ayrılmış göğüslerine yerleştir
Ve esmerliğine bir de, eski bir yangının izlerinin renginde
Saçlarının yana düşüşüne, onları bölen ikiliğe
Alnından başlayan ve ayak bileklerinde duran
Yani senin olmayan, seni bir boşluk gibi saran hüzne
Yerleştir onu bir kentin parça parça aklında tuttuğun
Kar taneleri gibi uçuşan
Ve her gün biraz daha hafifleyen semtlerine
Yerleştir bu sevdayı her yerine.
Ekledim ben tattığım her şeyi denizlere
Bildiğim ne varsa onlar da hep denizlerden
Sen de bir deniz gibi yerleştir onu istersen
Sevdayı
Ve köpüklendir
Ve yaşlandır ki işte kederi anlamasın
Ama dur, her deniz yaşlıdır zaten
Öğrenmez ama öğretir mutluluğu
Bizim sevdamız da öyledir, iyi şiirler gibi
Biraz da herkes içindir.
Ve gelinciğin ikinci tadına benzemeli
Var eden kendini birincisinden
Yani bir sevdayı sevgiye dönüştüren.
Ben şimdi bir yabancı gibi gülümseyen
Tanımadığın bir ülke gibi
İçinde yaşamadığın bir zaman gibi
Tam kendisi gibi mutluluğun
Beni bekliyorsun
Ve onu bekliyorsun beni beklerken.
Ailleurs : - Bio-bibliographie d'Edip Cansever sur le site Librairie-compagnie - Un anthologie de la poésie turque
Je te
reconstruirai, ma patrie. Même avec
l'argile de ma propre âme. Je te
bâtirai des colonnes. Même avec
mes propres ossements. Grâce à ta
jeune génération, on s'amusera à nouveau. Nous ne
cessons de pleurer, tellement tu nous manques. Même si je
meurs à 100 ans, je resterai debout dans ma tombe. Afin de
faire disparaître le mal avec mon grognement.
Je suis vieille mais je peux rajeunir pour vivre
une nouvelle vie aux côtés de mes enfants.
Simin Behbahani, deux poèmes proposés sur le site du Prix Simone de Beauvoir
Ailleurs : - Une page sur Sylvia Plath sur le site Esprits Nomades - Page Sylvia Plath sur le site Encyclopédie de la mort - Bio-biliographie sur le site Wikipédia
...Betty relisait Theodor Adorno, s'exerçait à la philosophie. Elle tentait non pas d'admettre, mais de comprendre les choses. Parce qu'elle s'évertuait à vivre, il lui arrivait, juste pour la beauté du sport intellectuel, d'essayer de contredire ce magnifique penseur. Mais parce que vivre n'est pas seulement l'évidence d'un verbe en cinq lettres, mais un carrefour à cinq pattes, son hésitante orientation la conduisait, parfois, à suivre Adorno. Elle avait lu qu'Après Auschwitz, il ne peut plus y avoir de poésie, mais elle s'était empressée d'ajouter : Dans un monde sans poésie, seule la mort serait poétique et significative. Il faut bien qu'il se passe quelque chose. Effrayant ? Glisser. Se laisser porter. Suivre la pente douce, comme ceux que rien ne retient. Facile ? Sincèrement, pourquoi s'abîmer les ongles sur la paroi du précipice, quand rien ni personne ne vous arrime à la terre ferme ? C'est tellement plus reposant de lâcher prise. Dans tes pas, Adorno ! Dans ton sillage, Adorno ! Puisque la barque semble ne mener nulle part. Et si je te suivais ? Juste pour voir.
Mais derrière Adorno, Betty perdait aussi sa route. Elle, voulait vivre. Mais la vie lui faisait peur. Au beau milieu de ce mot, il y a le I, de l'Inassouvi. Vie, trois lettres, pour les trois parts de notre existence : entre le V de vivre et le E de Exister, se dresse, impériale, la colonne, ce I, de l'Inassouvi. Cette césure, dans le mot vie, fend le cœur de l'homme et le fait vaciller, en permanence, entre le vide et le plein, entre le fuyant et le saisissable, entre le doute et l'espoir. Alors Betty se disait : Betty Boop ouvre grands ses yeux sur le monde et ça ne l'empêche pas de danser avec légèreté. Danser à mort, c'est une façon de fuir l'emprise de la vie, c'est le mourir poétique. A la fin du film, quand le générique emplit les oreilles, Betty Boop se retire avec grâce, disparaît de l'écran, elle montre que mourir est une autre façon de danser ; il faudrait faire comme elle, se disait parfois la Loupe. Mais cette fois-là, parce que mourir lui faisait peur aussi, elle était ravie d'entendre la voix d'un certain monsieur, son ami ange gardien, qui lui disait que Betty Boop est une fieffée menteuse, car personne ne peut danser à mort sans traverser la vie, il fallait donc danser la vie. Alors, elle faisait mine de défendre Betty, mais cette homme qui désavouait Betty Boop avait un sourire et des mots qui donnent envie de laisser ses ongles sur la paroi, de s'accrocher, de remonter du fond de chaque gouffre et de rester sur la terre ferme, de danser malgré tout.
Il suffit parfois d'un café avec un ami pour oser contredire Adorno. Bien sûr qu'il peut toujours y avoir de la poésie après Auschwitz. Vivre bien entendu procède de la chance, mais tenter de vivre est un devoir, celui d'arracher au chaos tout ce qu'il nous prend pour offrir au néant. Le chiffre nul, le 0, s'il était un récipient, ce serait une calebasse qui ne saurait contenir l'humain, car notre simple position debout est déjà un 1, un aleph, et, à partir de là, le compte commence et continue. Même la musique zéro de l'œuf est une promesse de vie. Entre l'ombre du gouffre et la lumière éblouissante s'étale le diamètre des nuances possibles. L'occasionnel passage dans les ténébreuses crevasses rend l'arc-en-ciel plus merveilleux. Autant garder ses yeux ! Dans la traîne de la nuit, un pinceau invisible trace des faisceaux de lumière, autant de projecteurs éclairant autant de pistes, où le bonheur joue à cache-cache avec la vie. ici ? Là ? Qu'importe, on cherche, encore !
Les jours optimistes, Betty la Loupe s'avouait sa quête du bonheur et, bien qu'elle la trouvât illusoire, se lançait dans une rêverie enjouée : ― Le bonheur ! On ne court qu'après lui, en attendant d'épuiser son bon d'heures. Alors, dans la boue, dans la bouse, je vais le chercher. Quand le blues enfile une blouse blanche, je veux chercher. Sous le houx, avec ma houe, je veux chercher. Grattant le gré, glissant sur la glaise, je veux chercher. Dans toutes les vallées, sur toutes les dunes, je veux chercher. Derrière toutes les frontières des terres réquisitionnées, je veux chercher. Sur tous les versants de toutes les montagnes, je veux chercher. La barque en péril, vers toutes les îles, je veux chercher. Parce que l'île est à la fois prison et ouverture, en m'enfermant j'embrasse le monde. Errer ? Vaquer ! Marcher, rouler, voler, courir, gravir se hisser sur l'autel de la vie. Encore et toujours chercher. En dépit de dégringolades, persister. Jusqu'au bout du souffle, je veux chercher, comment être sans mal-être. Je cherche, entre chaînes et poignées, entre amours et désamours, entre confiance et méfiance, entre soif et ivresse, entre fixité et mouvement, entre transhumance et errance, entre anxiété et sérénité, je veux trouver la ligne d'équilibre.
Fatou Diome, Inassouvies, nos vies, Flammarion, 2008.
Toute reproduction, publication, diffusion ou distribution de tout ou partie du contenu de Pagus-Pagina pour fins autres que celles d'utilisation personnelle, est strictement interdite sans autorisation préalable. Pour toute copie et diffusion à usage personnel et non commercial, l'auteur et la source (Jean-Paul Durin / Pagus-Pagina) doivent être mentionnés et un lien établi vers cette source.