Biographie ?
On peut lire, dans le Salon du Wurtemberg un passage qui avoue :
- "Je suis
ombrageux et gourmand, gai en société, incapable de la moindre confidence,
passionné d'être seul. J'aime la lecture parce que c'est la seule conversation
à laquelle on peut couper court à tout instant, et dans l'instant. J'aime peu
le sommeil, gouffre qui a partie liée avec la mémoire. Je suis musicien autant
qu'il s'agit de jouer de la musique."
Autoportrait ?
- "Il n'y a pas
beaucoup de biographies humaines qui ne soient pas similaires.
Nous nous ressemblons tous énormément."
D’accord…
Une
enfance
Le
23 avril 1948, Pascal Quignard nait à Verneuil-sur-Avre,
en Haute-Normandie. Ses parents sont professeurs de lettres classiques. Son
père appartient à une famille d’organistes et Charles Bruneau, le grand père
maternel est le co-auteur de la monumentale Histoire
de la langue française.
Il acquiesce :
- "Ces grands
connaisseurs de la langue vous piétinaient à la moindre faute".
- "Il n'y avait pas un repas qui ne soit interrompu
par des recherches dans les dictionnaires. C'était à la fois fascinant et un
peu effrayant de voir les lèvres de ma mère prononcer des mots cabalistiques,
des dérivations dépourvues de sens pour un enfant.
En 1950. A l’âge de 18 mois, il passe par des périodes d’«autisme» et d’anorexie,
lesquelles se renouvellent lorsqu’il a 16 ans.
Cela, certainement, quelqu’un lui aura raconté. Cela n’altère en rien que
ce fût :
- "J'ai
été un peu autiste à deux reprises et ce ne fut pas pure folie. La première
fois, c'est mon oncle, le petit frère de ma mère revenu de Dachau, qui m'a
réappris à parler et à manger. Il a eu l'idée de me donner à sucer un bâton de
réglisse qui avait l'apparence d'une branche. J'étais, je suis doué pour cet
état d'enroulement euphorique propre à l'infans, pour cet état qui n'est pas un
état social, qui dure neuf mois intra-utérin puis dix-huit mois atmosphérique.
Dire que nous sommes des êtres de langage, comme le fait la société, est
profondément faux. Et ne pas être doué pour le langage, c'est répondre à plus
originaire. Nous ne sommes pas des êtres parlants, nous le devenons." (extrait
d'une interview accordée à Lire,
09/2002)
Mais comment peut-on
se taire à 18 mois ???
- "En
refusant d'apprendre à parler, en refusant de manger. Toutes ces choses-là,
j'en parlerai, mais pas maintenant... Ce silence, c'est sans doute ce qui m'a
décidé à écrire, à faire cette transaction : être dans le langage en me taisant.
Ce que le langage oral ne peut dire, voilà le sujet de la littérature. La
lecture aussi, c'est être dans le langage en se taisant. Vous ne pouvez pas
savoir quelle joie la lecture me procure, une joie constante qui ne peut pas
être amoindrie. S'envoler hors du temps, hors du monde, hors du pouvoir,
chuchoter d'entente avec un autre, même à trois mille ans de distance, même
dans une autre langue. Je suis claustrophobe, alors, pour moi, il n'y a pas
d'espace qu'on ne puisse explorer. Lire et être curieux, c'est la même chose.
On comprend des choses extraordinaires de profondeur en lisant, on se retrouve
de connivence avec des civilisations très lointaines. Je n'ai pas dit qu'on
comprenait la vérité, mais on comprend des choses. Pour moi, c'est extatique, comme
la musique." (Extrait de Lire, 02/1998)
De
1950 à 1958, Pascal Quignard passe toute son
enfance sur les bords de la Seine. Au Havre d'abord, de deux à dix ans,
- "une ville en
reconstruction entièrement rasée par la guerre, ce qui fait qu'on pouvait la traverser
sans jamais cesser de voir la mer."
puis à Sèvres à
partir de 1958.
Mais c'est la Loire,
à Ancenis où il passe toutes ses vacances de Pâques, qui coule le plus dans ces
livres.
- "La Loire n'est
pas un fleuve comme les autres : elle a les crues les plus fortes, une
civilisation : la Renaissance... C'est un fleuve un peu sacré."
La Loire est aussi
liée à la musique : il y a joué de l'orgue pour des mariages et des funérailles.
Pascal Quignard a commencé l'apprentissage du piano vers l'âge de cinq ans,
auquel il a ensuite ajouté celui du violon parce que son plus jeune frère
jouait du violoncelle.
- "Ainsi nous
pouvions jouer ensemble. Le but de la musique a toujours été pour moi cet
accord non-verbal très émouvant. C'est une communication qui va plus loin que
la sociabilité." [lire
absolument Vie secrète pour en avoir une illustration]
Beaucoup plus tard,
Pascal Quignard se mettra lui aussi au violoncelle et à l'alto.
- "J'ai voulu
retomber en enfance et reprendre des cours au Conservatoire afin de pouvoir
changer d'instrument."
Lire
De 1966 à 1968, Il est en fac de philosophie à Nanterre sur les mêmes bancs que
Cohn-Bendit. Parmi ses professeurs : Emmanuel Levinas et Paul Ricœur. En Mai
68, s’il
est trop spontanément distant pour appartenir à un groupe et peut-être peu
soucieux de prendre la parole en public, il ne se sent pas du tout à l'écart du
mouvement. Si on lui pose la question de l’engagement, de la signature de
pétition, il répond :
- "La signature d'un écrivain ne signifie rien. Ce qu'il
peut apporter de subversif, pour reprendre votre terme, est dans la
littérature, pas dans le discours. La littérature est le langage qui ignore sa
puissance. Et puis, ce n'est tout simplement pas dans mon caractère." (Extrait d’un interview - Le
Matricule des Anges n°10 – décembre 1994 – janvier 1995)
Dans la foulée,
il s’éloigne de la philosophie considérant que la pensée a «vêtu un uniforme
qui ne [lui] convient plus». C’est dans ce contexte qu’il travaille à son premier
livre qui est à percevoir aussi comme un engagement :
- "Mon essai sur Maurice Scève, qui
était à l'origine une machine de guerre contre le "baratin", me
semblait être un acte de sécession."
De Gallimard, où il
envoie son manuscrit, lui parvient une réponse signée Louis-René des Forêts qui
deviendra pour longtemps son lecteur. Celui-ci décide d'en publier un chapitre
dans la revue L'Ephémère. Il va y côtoyer Du Bouchet, Celan et...Levinas,
son prof à Nanterre.
En 1969, Simone
Gallimard, par l'intermédiaire de Louis-René des Forêts, lui propose de devenir
lecteur extérieur pour Gallimard.
- "Je ne savais
pas qu'on pouvait être payé à lire et j'ai trouvé ça fabuleux."
Pendant vingt-cinq
ans, Pascal Quignard ne va pas cesser de lire pour Gallimard. Il prend peu à
peu du galon et en 1976, il entre au comité de lecture, puis au comité de
direction et prend en charge, en 1988, le secrétariat général du service
littéraire.
- "Je n'ai pas
connu la lassitude du lecteur. J'avais demandé à lire ce qui arrivait par la
poste plutôt que les écrivains confirmés aux savoirs plus ou moins tacticiens.
Quelle qu'eût été la qualité du texte, c'était un plaisir. J'aime être abordé
par ce que j'ignore."
Pascal Quignard ne se
range absolument pas parmi les éditeurs qui maternent leurs auteurs.
- "J'étais avant
tout un lecteur, un petit peu froid et technique, qui donnait son impression de
lecture."
Chez Gallimard, il
aimait aussi l'idée de comptoir d'édition qui venait de Gide et qui s'est
perpétuée jusqu'au comité de lecture de Claude Gallimard. Une transmission
littéraire :
- "Des écrivains
font prendre d'autres écrivains indépendamment de ceux qui détiennent l'argent
pour faire fonctionner la maison."
Écrivain, Pascal
Quignard l'est parallèlement peu à peu devenu, publiant dans les années
soixante-dix des petits textes qui
faisaient la part belle à l'abstraction et aux fragments.
Écrire
C'est en 1979, que
paraît son premier roman, Carus, qui montre les amis d'un violoncelliste
dépressif tenter de le sauver.
- "Les dépressions
nerveuses ont beaucoup compté chez moi. Quels sont les recours ? L'amitié,
c'est-à-dire le langage, ou la musique."
La reconnaissance de
ses pairs viendra dans la décennie suivante malgré des tirages confidentiels.
Il faudra des romans plus accessibles, plus romanesques pour bénéficier de la
reconnaissance d’un public plus élargi. Le Salon du Wurtemberg en 1986
puis Les Escaliers de Chambord en 1989 non seulement révèlent Pascal
Quignard au grand public mais se retrouvent dans les dernières sélections du Goncourt.
Mais les ressorts profonds de l’écriture sont autres.
- "Il était
important de m'affronter à ce qui pesait sur moi : la généalogie paternelle
dans Le Salon du Wurtemberg, et la lignée de ma mère
venant de Flandres dans Les Escaliers de Chambord. Qu'il y ait davantage
de psychologie et de romanesque dans ces romans vient de tous ces souvenirs
familiaux, ces petits objets : les bonbons, les dinky toys... Bien sûr, il
m'est impossible d'en écrire un troisième de ce genre. D'ailleurs l'ignorance de
ce que je suis, fait que j'écris toujours quelque chose de différent."
A propos des succès (Salon
du Wurtemberg, Sexe et l’effroi…), ils demeurent, pour le second, une
énigme pour lui et, pour le premier, une surprise…
Faut-il y voir un renoncement à l’intégrité de sa
démarche d’écrivain comme l’insinuerait la rumeur des médias et des mondains de
l’époque ?
La seule réponse est
dans la lecture de ces textes.
Entre 1990 et
1994,
Pascal Quignard est président du Festival international d’opéra et de théâtre
baroque au château de Versailles, qu’il a créé sous la houlette de François
Mitterrand. Il préside également le concert des Nations aux côtés de Jordi Savall
entre 1990 et 1993.
En 1991, il publie
"Tous les matins du monde". Le roman donnera lieu à une rencontre
avec le cinéma, via une adaptation qui se révèle très proche du texte, réalisée
par Alain Corneau. Via son œuvre, Pascal Quignard réussit le prodige de faire
de Marin Marais et de Sainte-Colombe des «best-sellers» du disque – pour un
temps du moins… (Alain Corneau lui avait demandé s’il ne serait pas tenté
d’écrire un roman racontant Monteverdi à Venise ou Lully à Versailles…
Personnages trop reconnus pour lui, en revanche Sainte Colombe…)
Alain
Corneau adaptera un autre roman de Pascal Quignard : "L’occupation
américaine".
Le
décès du Père
En
1994, peu après le décès de son père, Pascal Quignard démissionne de ses
fonctions éditoriales chez Gallimard et de toutes ses fonctions
institutionnelles (présidence de festival, jurys littéraires) pour se consacrer
exclusivement à l'écriture.
- "J'ai compris à quel point le patronyme, le
fait d'entrer dans la vie sociale, de briguer les honneurs disparaissent avec
la mort du père. Car on fait beaucoup de choses toute sa vie pour le regard de
ceux qui nous ont engendrés. Alors, avec leur retrait un certain nombre de nos
ambitions disparaissent. Je me suis forcé à enseigner, à travailler dans
l'édition, à m'occuper de musique pour jouer des rôles, car j'étais très peu
doué pour la vie collective. Or, il y a une vie plus ancienne que la vie
ambitieuse ou même amoureuse, une solitude avant la vie sociale. Aujourd'hui,
plus que jamais, c'est cette vie-là que je rejoins. Je m'extrais de la fratrie
comme je me suis extrait de la patrie." (entretien au magazine Lire)
- "Il me semblait qu'il faudrait de toute façon
le faire un jour. Je n'ai aucun regret d'y avoir travaillé pendant vingt-cinq
ans, et je suis heureux de me retrouver désormais solitaire comme un
sanglier."
Une expérience
de la limite
En 1997, Pascal
Quignard est hospitalisé d’urgence et confie qu’il a alors eu «l’impression de
mourir». À la suite de cette expérience, il abandonne un traité et un long
roman qui étaient en cours pour écrire Vie
secrète, un livre qui se démarque nettement des formes classiques de la
littérature. Il évoque à ce propos le
- "besoin
de donner une sensation de pensée plus émouvante que la seule démonstration
intellectuelle."
En
2000, son roman Terrasse à Rome
obtient le grand prix du roman de l’Académie française.
Puis
2002 voit la publication de sa trilogie intitulée Dernier royaume. Les ombres
errantes, premier volet de cette trilogie, reçoit, le lundi 28 octobre, le
prix Goncourt. Il l'a emporté au troisième tour de scrutin, par six voix contre
deux à Olivier Rolin et deux à Gérard de Cortanze.
Le
28 septembre 2007 paraît La nuit sexuelle.
Dans les semaines qui ont suivi, de la présentation de qu’il en a fait à
Toulouse, les auditeurs-spectateurs ont pu retenir une profonde attention à
chacun d’eux et à l’objet même de la parole proférée, des mots pesés, pensés et
posés en résonnance harmonique avec d’autres, un regard bleu qui dévisage.
Comme son écriture. On ne sort pas indemne de la littérature.
- «Ces images
qui troublent l'âme doivent être recueillies et montrées, avant que le
puritanisme, qui est de plus en plus puissant, les fasse disparaître. Il me
semble que nous avons mangé notre pain blanc de tolérance. Savez-vous que les
milliers d'exemplaires de La Nuit sexuelle ont été aspergés de kérosène chez un
grand libraire de Toulouse ? Heureusement, on n'y a pas mis le feu, mais tout
de même...».
Bibliographie :
- L’Être du balbutiement: essai sur Sacher-Masoch, Mercure de France, 1969 ;
- Alexandra de Lycophron, Mercure de
France, 1971 ;
- La Parole de la Délie: essai sur Maurice Scève, Mercure de France, 1974 ;
- Michel Deguy, Seghers, 1975
- Écho, suivi de Épistolè Alexandroy, Le Collet de
Buffle, 1975 : repris dans Écrits de l'éphémère, Galilée,
2005 ;
- Sang, Orange Export Ltd, 1976 : repris dans Écrits
de l'éphémère, Galilée, 2005 ;
- Le Lecteur, Gallimard, 1976 ;
- Hiems, Orange Export Ltd, 1977 : repris dans Écrits de
l'éphémère, Galilée, 2005 ;
- Sarx (avec des gravures de Gérard Titus-Carmel), Maeght,
1977 : repris dans Écrits de l'éphémère, Galilée, 2005 ;
- Les Mots de la terre, de la peur et du sol, avec des gravures de Louis Cordesse, Clivages, 1978 : repris dans
Écrits de l'éphémère, Galilée, 2005 ;
- Inter aerias fagos, Orange Export
Ltd, 1979 : repris chez Galilée, 2005 ;
- Sur le défaut de terre, avec des
gravures de Louis Cordesse, Clivages, 1979 : repris dans Écrits de
l'éphémère, Galilée, 2005 ;
- Carus, Gallimard, 1979 ;
- Le Secret du domaine, illustrations
de Jean Garonnaire, Éditions de l’Amitié, 1980 : repris chez Galilée en
2006 sous le titre L'enfant au visage couleur de la mort ;
- Les Tablettes de buis d’Apronenia Avitia, Gallimard,
1984 ;
- Petits traités, Tome I, avec un traité de gravure de Louis Cordesse,
Clivages, 1981 ;
- Petits traités, Tome II, Clivages, 1983 ;
- Petits traités, Tome III, Clivages, 1984 ;
- Le Vœu de silence: essai sur Louis-René des Forêts, Fata Morgana, 1985 : repris chez Galilée, 2005 ;
- Longin, in Nouvelle Revue de Psychanalyse, n0 32, 1985, ISBN
207070520X
- Une gêne technique à l'égard des fragments, Fata Morgana, 1986 : repris chez Galilée, 2005 ;
- Le Salon du Wurtemberg, Gallimard,
1986 ;
- La leçon de musique, Hachette,
1987 ;
- Les Escaliers de Chambord, Gallimard,
1989 ;
- Petits traités, Tome I à VIII, avec des dessins d’Aki Kuroda,
Maeght, 1990 ;
- Albucius, POL, 1990 ;
- Tous les matins du monde, Gallimard,
1991 ;
- Georges de la Tour, Flohic, 1991,
repris chez Galilée, 2005 ;
- La Frontière, Michel Chandeigne, 1992 ;
- Le Nom sur le bout de la langue, POL,
1993 ;
- Le Sexe et l'Effroi, Gallimard,
1994 ;
- L'Occupation américaine, Éditions du
Seuil, 1994 ;
- Les Septante, avec des peintures de Pierre Skira, Patrice Trigano,
1994 ;
- L’Amour conjugal, avec des gravures de Pierre Skira, Patrice Trigano,
1994 ;
- Rhétorique spéculative, Calmann-Lévy,
1995 ;
- La Haine de la musique, Calmann-Lévy,
1996 ;
- Vie secrète, Gallimard, 1998 ;
- Terrasse à Rome, Gallimard, 2000 ;
- Tondo, avec des pastels de Pierre Skira, Flammarion,
2002 ;
- Les Ombres errantes (Dernier Royaume, Tome I), Grasset, 2002 ; (Prix Goncourt 2002)
- Sur le jadis (Dernier Royaume, Tome II), Grasset,
2002 ;
- Abîmes (Dernier Royaume, Tome III), Grasset,
2002 ;
- Les Paradisiaques (Dernier Royaume, Tome IV), Grasset, 2005 ;
- Sordidissimes (Dernier Royaume, Tome V), Grasset,
2005 ;
- Écrits de l'éphémère, Galilée,
2005 ;
- Pour trouver les Enfers, Galilée,
2005 ;
- Villa Amalia, Gallimard, 2006 ;
- L'Enfant au visage couleur de la mort, Galilée,
2006 ;
- Triomphe du temps, Galilée, 2006 ;
- Ethelrude et Wolframm, Galilée,
2006 ;
- Le Petit Cupidon, Galilée, 2006 ;
- Requiem, Galilée, 2006 ;
- La Nuit sexuelle, Flammarion, 2007 ;
- Boutès, Galilée, 2008.
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