Nager veut que l'on creuse davantage le lit de la rivière, qu'on en favorise le passage, qu'on en élargisse le cours, Nager veut accroître la conscience de la conscience de l'eau. Nager cherche de tous ses membres bien étirés à augmenter la joie menue de nager. Au fond nager cherche à nager. A rejoindre la rivière, étant rivière déjà, cherchant à se joindre elle-même, à se connaître, à se fondre en évidence de soi. C'est ainsi qu'elle y va, qu'elle y court. La rivière n'en finit pas de rejoindre la rivière.
Ainsi nager sert au poème qui sert à nager qui sert au poème qui sert à vivre. Autrement dit, à aimer, autrement dit à mourir.
Annie Leclerc, Éloge de la nage, Actes Sud, mai 2002
d’ un
soi-disant matin
corrigé d'une ode d’une
autre aube toujours différente, lisse à
l’endroit ce qui blesse le regard i.e
la lumière brisée prenant
la bouche la voix de surface
very
dark very light very like the sun un soleil de chaque
jour oublié sur
la corde sombre du
cœur-Celan übers Herz
Schattenseil ou
l’âme à l’endroit
vide du
poème
où
vous me dîtes
allez
plus loin en
cet accord atonal Dichtung «
qu’il n’est plus temps de se vouloir » à
l’entrecoeur magique toujours
inconnu et
attendez de vous défaire
de la langue et
de la chose de la lettre et
du sentiment toujours à
la naissance comme
« le surgir d’un
visage aimé dans
la foule »
vous ou Patti
Smith parce
que les
temps changent et que
parfois il
suffit d’exister sans appui malgré
le noir azur la
lumière inerte aval amont de sauvegarder la
béance
Joseph Julien Guglielmi, Priant que la poésie soit humaine soit plus (ode)
Je pars. Toujours il dit Je pars, je me tire. Il aime le mouvement de partir. Il se fout de l'endroit à atteindre, ce qu'il aime c'est partir, c'est déclarer qu'il part. Il dit qu'il va écrire, un jour, l'éloge de la fuite. Cet éloge lui paraît d'autant plus justifié qu'il a appris, hier que le verbe partir, en espagnol, signifiait aussi partager. Il a toujours sur lui un passeport à jour pour passer les frontières. Prêt à fuir. Il n'y a pas trente-six solutions quand l'ennemi menace, dit BW, mi-rieur mi-sérieux : soit mettre les voiles, soit l'attaquer de front (cette dernière solution requérant un attirail et des forces plus lourdes). Toute autre est malvenue. BW est un guerrier. Plus tard, je dirai en quoi.
BW est un tendre. Il pleure la mort de Fausto le chat. Encore aujourd'hui, il pleure sa mort. Il a des chagrins lents et des joies foudroyantes. Ses joies lui sont le plus souvent données par le voyage, par les plaisirs qui naissent du voyage. Je l'ai mille fois constaté, c'est en voyage que BW montre son visage le plus avenant. En cela, il diffère de moi. Tout projet de quitter le refuge m'accable. L'odeur des gares m'écœure. Traîner une valise m'est un supplice. Mes tendresses d'esprit vont, de préférence, aux reclus et aux immobiles. Il m'arrive de penser que je pourrais sans peine mener une vie de moniale. Ma vie physique est d'ailleurs une vie d'enfermée (et ce n'est pas demain qu'on m'invitera au festival des écrivains voyageurs). BW, lui, est toujours en instance de partir.
Dès que quelque chose l'insupporte en France, et c'est souvent, il dit Je me casse, je me barre, je vais voir ailleurs si j'y suis (il aime l'ironique justesse de cette expression). Quelquefois, il le fait pour de bon. Et je m'inquiète.
BW a des goûts dispendieux. Dès qu'il a de l'argent, il le claque. Il claque aussi celui qu'il n'a pas. Ce qui le plonge dans des affres terribles : dettes au fisc, avis à tiers détenteur, prélèvement sur salaire, etc. BW a horreur des ladres. Il peut rompre une amitié, du jour au lendemain, pour cause de ladrerie. Et se plaît à déclamer que :
Le ladre est une erreur
Car BW aime la grande vie, les grands gestes, les grands horizons, les manières qui en jettent, les chaussures en serpent, les oreillers en duvet de cygne et la littérature qui est, de tous les luxes, le plus considérable. C'est du reste pour leur savoir millénaire sur le luxe et la volupté que BW aime les pays d'Orient où il a souvent séjourné, leurs extravagants bijoux, leurs tapis, leurs soies, leurs tentures, leurs parfums capiteux, leurs somptuosités. Leurs harems, ajoute BW à voix basse et souriant. Le luxe ou bien l'ascèse (BW me racontera plus tard sa retraite à l'abbaye de Solesmes), il n'est pas d'autre solution. Quant au faux luxe, au confort moyen et aux moyennes littératures, non, non et non !
BW n'a strictement aucun sens de la mesure. Tout ce qui le force à la mesure le meurtrit. Tout ce qui l'onlige à l'économie l'exaspère. Il n'est pas une seule restriction qu'il ne ressente comme un avilissement. La modération bourgeoise et l'idée d'épargner lui demeurent étrangères. Sincèrement, il le regrette. S'il boit, c'est trop. S'il rompt, c'est à jamais. S'l soufre, c'est à mort.S'il aime, c'est corps et âme. BW a aimé l'édition corps et âme. Il a rompu avec elle à peine a-t-il compris qu'il devait désormais spéculer, négocier, marchander, opter pour des choix raisonnables, autrement dit qui rapportent, en langue d'édition (les opérations pécuniaires l'ayant assez peu occupé). Il a rompu avec elle pour ne pas obtempérer aux impératifs susnommés (qu'on aurait autrefois regardés comme vulgaires). Il a rompu avec elle plutôt que de forfaire à une certaine idée qu'il s'en faisait. Il a rompu avec elle avant que ne commence le dégoût de lui-même. L'une des raisons de ce livre est de dire la rupture de BW avec l'édition, et l'entrelacs compliqué de ses causes. Car la rupture de BW avec l'édition qu'il a aimé par-dessus tout m'apparaît parfois comme un raccourci violent de notre histoire contemporaine.
Le 15 mai 2008, BW perd brutalement l'usage de son œil droit. L'inquiétude est immense. D'autant que la vision de son œil gauche est très diminuée. BW consulte un spécialiste. Un décollement de rétine est diagnostiqué, puis opéré. Mais des complications surviennent et, pendant une quinzaine de jours, BW se demande s'il ne va pas devenir complètement aveugle. C'est dans ce laps de temps que naît ce livre. En attendant une nouvelle intervention chirurgicale sur l'œil aveugle, BW, qui ne peut se déplacer, ni lire, ni regarder la télé, me raconte dans une sorte d'urgence la somme des départs qui ont marqué sa vie. Je note ce qu'il me dit.
Mon cœur est une gare
Peut-être vais-je désormais, à l'instar de Démocrite qui se creva les yeux, peut-être, dit BW, vais-je désormais mieux voir mon existence et mieux voir le soleil autour duquel elle tourne.
Avant de se donner la mort avec sa femme le 22 septembre 2007,
le philosophe et journaliste André Gorz a transmis un dernier texte écrit le 17 septembre à la revue EcoRev’,
qu’il avait parrainée lors de sa création, intitulé « La sortie du
capitalisme a déjà commencé ».
Ce qui importe pour le moment,c'est que la principale force productive et la principale source de rentes tombent progressivement dans le domaine public et tendent vers la gratuité ; que la propriété privée des moyens de production et donc le monopole de l'offre deviennent progressivement impossibles ; que par conséquent l'emprise du capital sur la consommation se relâche et que celle-ci peut tendre à s'émanciper de l'offre marchande. Il s'agit là d'une rupture qui mine le capitalisme à sa base. La lutte engagée entre les logiciels propriétaires et les logiciels libres (libre, free, est aussi l'équivalent anglais de gratuit) a été le coup d'envoi du conflit central de l'époque. Il s'étend et se prolonge dans la lutte contre la marchandisation de richesses premières - la terre, les semences, le génome, les biens culturels, les savoirs et compétences communs, constitutifs de la culture du quotidien et qui sont les préalables de l'existence d'une société. De la tournure que prendra cette lutte dépend la forme civilisée ou barbare que prendra la sortie du capitalisme.
Cette sortie implique nécessairement que nous nous émanciperons de l'emprise qu'exerce le capital sur la consommation et de son monopole des moyens de production. Elle signifie l'unité rétablie du sujet de la production et du sujet de la consommation et donc l'autonomie retrouvée dans la définition de nos besoins et de leur mode de satisfaction. L'obstacle insurmontable que le capitalisme avait dressé sur cette voie était la nature même des moyens de production qu'il avait mis en place : ils constituaient une mégamachine dont tous étaient les serviteurs et qui nous dictait les fins à poursuivre et la vie à mener. cette période tire à sa fin. Les moyens d'autoproduction high-tech rendent la mégamachine industrielle virtuellement obsolète. Claudio Prado invoque l'appropriation des technologies parce que la clé commune de toutes, l'informatique, est appropriable par tous. Parce que, comme le demandait Ivan Illitch, chacun peut l'utiliser sans difficulté aussi souvent ou aussi rarement qu'il le désire... sans que l'usage qu'il en fait empiète sur le liberté d'autrui d'en faire autant ; et parce que cet usage (il s'agit de la définition illitchienne des outils conviviaux) stimule l'accomplissement personnel et élargit l'autonomie de tous. La définition que Pekka Himanen donne de l'Ethique Hacker est très voisine : un mode de vie qui met au premier rang les joies de l'amitié, de l'amour, de la libre coopération et de la créativité personnelle.
André Görz, La sortie du capitalisme a déjà commencée, 17 septembre 2007
Réel-réel : cela n'existe pas, pour les humains. Réel fiction
seulement, partout, toujours, dès lors que nous vivons dans le temps.
La narrativité s'est développée en notre espèce comme technique de
survie. Elle est inscrite dans les circonvolutions mêmes de notre
cerveau. Plus faible que les autres primates, sur des millions d'année
d'évolution, l'Homo sapiens a compris l'intérêt vital qu'il y avait pour lui à doter, par ses fabulations, le réel de Sens.
C'est ce que nous faisons tous, tout le temps, sans le vouloir, sans le savoir, sans pouvoir nous arrêter.
La vie des primates sur la planète Terre est remplie de dangers et de
menaces.Tous les primates tentent de s'en protéger en s'envoyant des
signaux. Nous seuls fantasmons, extrapolons, tricotons des histoires
pour survivre - et croyons dur comme fer à nos histoires.
Parler, ce n'est pas seulement nommer, rendre compte du réel ; c'est
aussi, toujours, le façonner, l'interpréter et l'inventer.
Le réel est sans nom. Le nom "juste" ou "naturel" - d'un objet, acte ou sentiment - n'existe pas.
Aussi loin que l'on remonte dans les étymologies, de mot en mot on ne
trouve que d'autres mots c'est-à-dire d'autres signes arbitraires,
découpant le monde, construisant leurs objets au lieu de les trouver.
C'est nous seuls qui les avons engendrés. Ils sont réels, puisqu'ils
font partie de notre réalité, mais ils ne sont pas "vrais".
Sans hommes : pas de nom.
Dieu qui nomme les premiers hommes, etc., c'est une fiction. Nous ne sommes pas sa création, Il est la nôtre.
Dieu ne peut pas être,
ailleurs que dans nos histoires. Pour être Dieu il faut parler et pour
parler il faut une langue et pour avoir une langue il faut déjà faire
partie de l'histoire humaine.
Dieu et les dieux font de fait partie de cette histoire - même s'ils refusent systématiquement de l'admettre.
Votre nom, aussi, est une fiction. Il aurait pu être autre. Vous pouvez
le changer. Les femmes en changent souvent. En se mariant, elles
passent d'une fiction à l'autre;
Le baptême, le mariage : actes magiques.
Toute nomination est un acte magique.
Les êtres humains sont des magiciens qui s'ignorent.
L'argent est une fiction : de petits bouts de papier dont on a décrété
qu'ils représentaient l'or. L'or est une fiction; Dans l'absolu il ne
vaut pas plus que le sable. la Bourse est une gigantesque fiction.
Les êtres humains sont des alchimistes qui s'ignorent : par leurs
fabulations, ils transforment tout en argent c'est à dire en or.
Ce ne sont pas des mensonges, car nous y croyons en toute bonne foi. C'est dans notre intérêt d'y croire.
Si le langage se contentait de refléter la réalité, pourquoi chaque
langue engendrerait-elle des mots qu'ils ne faut pas prononcer ?
Les jurons sont l'une des grandes preuves de l'humanité.
Ordinateurs et chimpanzés sont incapable de mentir, d'écrire de la
poésie, de proférer des injures. Trois formes de magie banale et
répandue chez nous, qui, toutes, impliquent d'employer à dessein un mot
pour un autre.
Raconter : tisser des liens entre passé et
présent, entre présent et avenir. Faire exister le passé et l'avenir
dans le présent. (singulièrement : par l'écriture.)
Les
autres grands primates vivent dans le présent. Ils peuvent tirer des
leçons du passé pour mieux gérer ce présent, mais ils ne se projettent
ni dans le passé (celui d'avant leur naissance !) ni dans l'avenir
(surtout celui d'après leur mort !).
Du coup, chez eux : nulle
angoisse de la mort, nulle nostalgie et nul espoir... tous affects liés
à la narativité, cette manie spécifiquement humaine de doter le réel de
sens.
Le sens est notre drogue dure. Sous forme d'idéal politique
ou religieux, elle est non seulement dure mais pure; Pour s'en
procurer, certains iront jusqu'à tuer père et mère, voire à sacrifier
leur propre vie (les kamikazes).
Nancy Huston, L'espèce fabulatrice, Actes Sud, mai 2008
J'ai tellement aimé vous embrasser l'épaule j'ai tellement De pierre de pluie tellement de lunes dans vos bras bleus Tellement d'oiseaux épouvantés quand le ciel se refroidit J'ai connu la peur et ses bottes de fer et ces vieux dragons Quand la tempête baratte la mer ô la flagellation de la mer Le diable est vieux et pluvieux mais rien ne m'empêchera De contempler votre épaule comme un vin mêlé de poivre Au jusant des narines rien n'est plus ange qu'une fille nue Poudrée d'or qui marche comme vous sous la pluie saoule Et son épaule ruisselle jusqu'au souvenir car j'ai tellement Ce frôlement des lèvres sur une peau à peine sur un frisson Ce luxe opulent d'une chair pullman qui palpite un opium Ambre obscur doux comme une nuit de madone en Orient- Express oh oui j'ai tellement cette houle une nuque souple La courbe adorable qui découvre une perspective enivrante
Alain Duault, Ce qui reste après l'oubli in La Nouvelle Revue Française, Avril 2008
C'est
par les livres, et dans les livres, que j'aurai vécu. On me l'a bien
reproché. À commencer par ma mère, qu'en conséquence j'ai de bonne
heure renoncé à fréquenter. La réalité débitée par la convention du
quotidien manque singulièrement de substance; abjecte, elle n'est que
sordide, et lorsqu'elle se pique de noblesse, elle est ridicule. Mais
que Dhôtel ou Chardonne disent les jours de Charente ou les nuages
d'Ardenne, voici que la vie d'un seul élan devient indubitable, et que
la Charente et l'Ardenne surgissent contre toute attente dans une
lumière inégalée. Je m'inquiète fort peu de l'accusation de
simplisme que mes propos inspireraient au philosophe, et encore moins
des coups de gourdin qu'il m'assènerait, allié pour la circonstance à “
l'homme positif ” qui est, paraît-il, le héros de notre temps. Toujours
soigneusement à côté
de la question, je répondrais avec Mac Orlan que “ les images sont plus
tenaces que les idées, particulièrement les idées générales, quand on
ne possède que trente sous pour entrer dans le paradis terrestre des
charcuteries et des vins populaires... ”
Oserai-je
employer le mot vérité ? Voilà. Ce sont les écrivains qui me disent la
vérité. Allons plus loin : je ne connais d'autre vérité que celle que
j'aime à entendre. Et j'éprouve aujourd'hui la même surprise
émerveillée que dans l'enfance à l'appel d'une voix familière. Il y a
toutes sortes de façons sans doute d'aller à la vérité. Ce qui ne
trompe pas, c'est l'accent, l'hésitation à peine perceptible de la
voix, au bord de la confidence, au seuil du récit, à l'heure de la
parole. Rien de tranchant, rien d'agressif, au contraire. C'est cela
que j'écoute, cette retenue que je guette, et la pudeur la plus
farouche me touchera, réduisant en fumée les roulades péremptoires des
hâbleurs. Les voix qui me parlent détiennent au plus profond le secret
du silence. Ainsi la voix de Chardonne qui, devant les vieux murs
d'Obidos, et le “ grouillement de la vie marine ” de Nazaré, se réjouit
de “ la secrète correspondance entre le silence et la vie dans sa
plénitude première...”
Jean-Claude Pirotte, Rue des Remberges, Editions Le Temps qu'il fait - 2003
Sinon la touche du vent, la cillée des nuages, les mains aux nœuds défaits, légères à pétrir le ciel de leurs doigts de fontaine.
Rien sinon ce qui échappe. Et s'abandonne à l'air.
Rien sinon ma danseuse d'automne. Suspendue. Flottante. En devenir dans le tourbillon de son âme déchirée.
Rien sinon votre chair qu'aucun mot n'habille. Votre feu qu'aucun regard n'éteint. Votre sang et vos larmes qu'aucune bouche jamais ne parviendra à sécher.
Ma danseuse, tout feu, tout flammes. Cœur au ciel et pieds légers, c'est toute la terre qui s'élève dans le chant rauque du bois. Dans les fibres qui se dénouent. Et tournent.
Dans la nuit, j'irai voler les derniers muscats noirs. Je presserai leur chagrin. Et longtemps après m'enivrerai de leur vin de lune. Ce sera pour vous rejoindre ma fiancée de vent. Et, ange, oublier ce qui blanchit mes nuits.
Alain Freixe, Dans les ramas, Edition L'Amourier - 2009
Ce poème , noté de la main de Orhan Veli sur un papier enveloppant sa brosse à dent, fut trouvé après sa mort. Certains vers sont irrémédiablement effacés. Publié à titre posthume, 1.02.1951
La première était toute mince, comme une feuille, Aujourd'hui elle doit être femme de commerçant. Elle a dû en prendre, du poids. Mais j'aimerais beaucoup la revoir, Premier amour... amour toujours.
La deuxième Münevver, était plus âgée que moi. Avait des larmes aux yeux à force de rire En lisant les lettres d'amour que je jetais dans son jardin. Quant à moi, j'ai honte comme si c'était aujourd'hui En me rappelant ce que j'avais écrit.
.......................qu'est-ce que ça peut faire .......................faisions dans le quartier .......................dans l'état .......................s'écrivait côte à côte sur les murs .......................aux lieux d'incendie.
La quatrième était déchaînée, Me racontant des histoires coquines. Un jour, sans crier gare, elle s'est mise nue devant moi. Les années ont passé, je n'ai pu l'oublier, Tant de fois j'ai rêvé d'elle.
Je passe sous silence la cinquième et viens à la sixième. Son prénom : Nurinnisa. Ô ma belle ! Ô ma brune ! Oh la la ! Ma Nurinnisa !
La septième, Aliyé, était une femme distinguée, Mais je n'ai pu vraiment l'approcher : Comme toute femme distinguée, Il lui fallait fourrure et dorure.
La huitième était de la même race. Elle doutait de la vertu des autres femmes Mais devenait enragée quand on lui parlait de la sienne. De surcroît.......... Elle mentait comme elle respirait.
Ayten était le prénom de la neuvième. Esclave de l'un ou de l'autre au boulot, Mais à la sortie du claque Elle allait au pieu avec l'homme de son choix.
La dixième s'est révélée intelligente .......... est partie .......... Elle n'avait pas tort toutefois, Faire l'amour est réservé aux riches, Aux rentiers. Quand deux cœurs s'unissent, dit-on, Peu importe de se retrouver sur la paille. Oui, mais alors deux meurt-de-faim ne peuvent se retrouver
qu'à la soupe populaire.
La onzième tenait à son travail. Pouvait-elle faire autrement, Payée à la journée par un salaud ? .......... lexandra, Elle venait dans ma chambre Pour y passer la nuit, Buvait du cognac, se soûlait, Reprenait le boulot à l'aube.
La dernière, enfin. Je ne me suis attaché à aucune Comme à elle. Pas seulement femme : humaine. Ni précieuse ridicule Ni cupide. Aspirant à la liberté, A l'égalité. Aimant les hommes Comme elle aime la vie.
Orhan Veli, Va jusqu'où tu pourras, Editions Bleu autour - Collection Poètes, vos papiers !, mars 2009
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