C'est
par les livres, et dans les livres, que j'aurai vécu. On me l'a bien
reproché. À commencer par ma mère, qu'en conséquence j'ai de bonne
heure renoncé à fréquenter. La réalité débitée par la convention du
quotidien manque singulièrement de substance; abjecte, elle n'est que
sordide, et lorsqu'elle se pique de noblesse, elle est ridicule. Mais
que Dhôtel ou Chardonne disent les jours de Charente ou les nuages
d'Ardenne, voici que la vie d'un seul élan devient indubitable, et que
la Charente et l'Ardenne surgissent contre toute attente dans une
lumière inégalée.
Je m'inquiète fort peu de l'accusation de
simplisme que mes propos inspireraient au philosophe, et encore moins
des coups de gourdin qu'il m'assènerait, allié pour la circonstance à “
l'homme positif ” qui est, paraît-il, le héros de notre temps. Toujours
soigneusement à côté
de la question, je répondrais avec Mac Orlan que “ les images sont plus
tenaces que les idées, particulièrement les idées générales, quand on
ne possède que trente sous pour entrer dans le paradis terrestre des
charcuteries et des vins populaires... ”
Oserai-je
employer le mot vérité ? Voilà. Ce sont les écrivains qui me disent la
vérité. Allons plus loin : je ne connais d'autre vérité que celle que
j'aime à entendre. Et j'éprouve aujourd'hui la même surprise
émerveillée que dans l'enfance à l'appel d'une voix familière. Il y a
toutes sortes de façons sans doute d'aller à la vérité. Ce qui ne
trompe pas, c'est l'accent, l'hésitation à peine perceptible de la
voix, au bord de la confidence, au seuil du récit, à l'heure de la
parole. Rien de tranchant, rien d'agressif, au contraire. C'est cela
que j'écoute, cette retenue que je guette, et la pudeur la plus
farouche me touchera, réduisant en fumée les roulades péremptoires des
hâbleurs. Les voix qui me parlent détiennent au plus profond le secret
du silence. Ainsi la voix de Chardonne qui, devant les vieux murs
d'Obidos, et le “ grouillement de la vie marine ” de Nazaré, se réjouit
de “ la secrète correspondance entre le silence et la vie dans sa
plénitude première...”
Jean-Claude Pirotte, Rue des Remberges, Editions Le Temps qu'il fait - 2003
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