Le chant de la dune profonde
ils sont encore en haut des pins
les petits garçons dans leurs nids
nuits lâches et jours incertains
les pères restent à l'abri
en secret s'envolent les mères
jusqu'à la cime des grands pins
verseuses de larmes amères
pleurant sur les corps enfantins
le fils voit des bateaux au loin
ce sont des coquilles de noix
rive-toi au sol comme un pin
tant que la jeunesse est à toi
l'hiver on tressait les filets
tu fus pris dans la nasse immonde
un jour, un jour vous l'entendrez
le chant de la dune profonde
comme un pin aussi courbe-toi
la vie ne te quittera plus
dans le vent le sable tournoie
la cloche attend d'être fondue
anéanti le vol de mères
où sont les pères et les fils
on a coupé dans la pinière
et tous ils sont tombés du nid
ne croyez pas les insensés
dans leurs fragiles virulences
les vautours sont déjà lancés
dans les corps hurle le silence
Décembre, Editions Eesti Raamat, 1971
Traduit de l'estonien par Antoine Chalvin et Kadriann Soosaar
Laul sügavast düünist
veel on
männilatvades
väikeste poiste
pesad
öödes päevades
lõtvades
tuulevarjus on
isad
emad lendavad
salaja
mändide kohale
ema on
pisaravalaja
noorele kehale
poeg näeb
kauguses laevu
laev ikka
pähklikoor
männina maasse
kaevu
seni kui oled
noor
talviti põimiti
püünist
võrku jäid sinagi
laulu sügavast
düünist
kuulete kunagi
männina kooldu
kiiva
siis sa jääd
elama
tuules tuiskavat
liiva
kella pean valama
emadeparv sai
hukka
mis sai pojast ja
isast
raiuti metsatukka
ja nad kukkusid pesast
ärge uskuge hulle
nende rabedas
vihas
taevas tiirutab
kulle
kisendav vaikus
kehas
Detsember, Eesti Raamat, 1971
Poète estonien (Tallinn, 1er juin 1948 – Rapla 21 février 1995).
Ses premiers recueils, publiés sous le pseudonyme de Jüri Üdi (Décembre, 1971 ; En bon estonien, 1974 ; Lettres d'amour, 1975), révèlent une poésie originale, riche en jeux de mots et en contrastes stylistiques, mêlant étroitement lyrisme, ironie et comique burlesque. Le moi du poète, longtemps dissimulé sous de multiples masques, s'affirme plus nettement dans ses recueils ultérieurs, où le grotesque cède souvent la place à une poésie intimiste en quête d'absolu (Espoir de vie, 1980 ; Merci et s'il vous plaît, 1983 ; le Rôle, 1991). Le poème retranscrit ici est le seul, à ma connaissance, traduit en français. Je me trompe certainement mais je me souviens m'être assis sur un banc près de sa tombe en compagnie de sa nièce qui arrosait les fleurs. Il faisait si beau et le cimetière dans les arbres n'avait pas de murs. J'avais envie de me reposer là, d'arrêter le cours des choses.
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Evolution qui révèle tant de choses si on se penche assez profond.
Rédigé par : marlene | 19 juillet 2010 à 06h18