L'eau veut le poème veut la connaissance veut l'amour.
A moins que ce ne soit l'inverse. L'amour veut la connaissance veut le poème d'eau, AQUA, UNDA, HYDRA, AWA...
L'espace ouvert de fondante liberté où nager enfin.
L'eau veut se rejoindre, se mêler, se perdre en elle.
Je nage et je sens la méchanceté rendre une à une toute ses armes, rancunes et revanches, je la sens doucement fondre le long de moi comme neige au soleil.
La vie n'est plus dressée contre la mort qui rôde, elle coule de source.
Voilà que s'approche par consentement à la déprise la pénétration accomplie de ce qu'on est passage et simplement passage, don reçu à transmettre.
Et éprouvant combien il ne s'agit pas de posséder, mais de déposséder, la tristesse se retourne comme un gant dont l'intérieur est jouissance.
Il en reste quelque chose au grand air. Méchanceté ne venait que de peur.
Je voudrais tant que ce qui est donné le soit aussi en pure et plaisante perte.
J'aimerais tant ne rien garder, me traverser, m'échapper...
Liens dénoués, chaînes dissoutes, tâches et soucis dispersés, vilaines figures englouties, je nagerais serrure de ma clé en une échappée belle de rien du tout.
Je nagerais mère et fille de moi-même, et tout en même temps ma naissance, ma puissance affirmée, mon passage, ma dilution.
Je me rendrais à l'eau. H2O. Deux molécules de puissance pour une de délivrance. Ensemble conjuguées et inséparables.
Je n'âgerais, enfin détachée de moi comme d'une vieille peau ainsi que de vous tous, les encombrants et les vaniteux, les méchants et les râleurs, les soldats et les coqs.Je cèderais tout à l'onde profonde, à la prose sans prise ni dénomination, je me fondrais entre les lignes de ma soif.
Annie Leclerc, L'éloge de la nage, Actes Sud - mai 2002
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