u'est-ce qu'on en sait que ça dure. Qu'est-ce qui peut autant durer. Et pourquoi ça durerait. Ça finirait par durer. A force de pas savoir. Ça s'éternise. A force de croire. On croit que ça dure. A force d'y être. On finit par s'y croire. Alors qu'on n'en sait rien. On ne sait rien de nous-mêmes. Même quand ça dure. Et combien de temps on va encore continuer. On continue sans le savoir. On reste soi-même. Avec le genre de chose qui fait qu'on sait. Qui fait qu'on est et qu'on est né. Depuis combien de temps. Qu'on naît et qu'on continue. On continue à naître en nous. Combien de temps on dure avec nous-mêmes. Avec l'idée d'être né de nous-mêmes. Et d'y penser. Tant qu'on y est. On pense à quoi ça pourrait ressembler. Si ça sortait. Mais qu'est-ce qu'on pourrait bien sortir. Qu'est-ce qui peut bien sortir de nous. Qu'est-ce qui peut naître en nous. Tous les jours. Il sort nous sort quelque chose. Qui est-ce qui sort. Si ce n'est pas nous. Qui pourrait bien sortir. Ou nous sortir. Et qu'est-ce qui pourrait bien naître qui ne serait que de nous. Tous les jours je me tire de moi-même. Qu'est-ce que je pourrais bien tirer dehors. Si ce n'est moi. Celui dont y a rien à en tirer. A en tirer d'autre. et dès qu'on tire un peu trop ça finit par casser. La corde se tend. Et plus rien sort. Même plus personne. On n'est même plus nous-mêmes. On se reconnaît à peine. On est sorti sans prévenir. On ne nous a pas reconnu. Nous non plus on ne s'est pas reconnu. On part dehors pour faire nos emplettes. Qu'est-ce que je vais bien trouver ce midi pour manger. Pour me le mettre sous la dent. C'est moi-même que je mets sous la dent. C'est moi que je mange aujourd'hui. Tous les jours c'est le même repas. Les mêmes ingurgitations. C'est comme une purge. Tous les jours on sort pour aller se repaître de soi. On s'en repaît une tranche chaque jour. Pour se purger de nous-mêmes. Tous les jours je me vois dans la glace. Je vois l'homme sortir de lui. Je le vois aller et venir dans la glace de la salle de bain. Que va-t-il encore nous sortir. Qu'est-ce qu'il fabrique à la fin. On sait pas se qu'il fabrique. Dans combien de temps il va s'y mettre. Dans combien de temps il va se mettre à être. Il sait même pas s'il y est. Il se voit dans la glace. Il s'est toujours posé la question si il était vraiment. Il se pose toujours beaucoup de questions. Et dans combien de temps on va finir par devenir. Et combien de temps ça dure. Le devenir. Comment on fait pour se savoir. A part se voir. Sinon il suffit de regarder dans la glace de la salle de bain. Quand on saisit le gant de toilette. Mon père saisissait de la même façon le gant de toilette. Et le père de mon père aussi. Mais lui il mettait un temps infini. Pas le père de mon père. Ou alors je ne le sais pas. Car après tout je ne l'ai pas connu. J'ai mieux connu le fils. Et lui ça lui prenait des heures. A se connaître. Un temps infini à se contempler. Avec son gant. Car il était très propre mon père. Puisqu'il avait toujours les doigts dans le cul. Et rarement dans la terre. Ou plutôt si. Il les avait rarement ailleurs. Ailleurs que dans son cul. Ou bien sinon c'était le mien. C'était mon père. Pas le père de mon père. Lui il les mettait dehors. Le père ou le fils c'était idem. Ils se mettaient hors d'eux même. Ou plutôt c'était moi. J'étais hors de moi-même. Quand je les avais dans le cul. On les savait dehors. Le père et le fils. On les revoit encore. Avec les doigts rentrés. Ils le rentraient en terre. Comme s'ils rentraient en lui. Lui se voyait avec la face du père. Le père du père. Ou bien son fils. C'était plutôt son père à lui. Car il l'avait en face. Il savait à quoi ça pouvait ressembler. Un fils. A quoi ça peut ressembler. Sinon à un père. On en finira jamais. Jamais on finissait de se regarder. Avec le gant de toilette. Pendant des heures on s'astiquait. qu'est-ce qu'on pouvait bien astiquer comme ça. Mon père lui se tirait tous les poils un par un. Souvent je me suis vu comme ça. A me tirer les poils. Mais c'est lui qui les tirait. Et c'était pas les poils. Il me tirait les vers. Il voulait savoir où j'en étais. Avec son gant de toilette. Souvent mon père me tire dehors. Comme un gros vers de moi. Il me pousse hors de moi-même. Que j'aille dehors. Mais dehors il me dit touche pas à ça. Car tu vas tout casser. Tu va finir par tout casser si tu y touches. Alors je ne touchais pas. Ou plutôt si. Je touchais autrement. Je mettais tout en touche. Déjà à ce moment là. je tapais en touche. Dès que je me mettais à être. A vouloir y toucher. Je creusais dans la terre. Mon père ne savait pas pourquoi je voulais tant creuser. Ma mère non plus. Elle avait des épingles dans la bouche. Mais ça ne lui empêchait pas de l'ouvrir. moi j'ouvrais autrement. Déjà à ce temps-là. je pensais m'ouvrir la bouche autrement. J'ouvrais la terre. Parfois il m'arrivais d'en avoir plein la bouche. parfois j'en avais plein la tête. J'avais la bêche au dessus d'elle. et j'ouvrais dans la terre. Et sans m'ouvrir la bouche. on pouvait m'ouvrir la tête. J'étais déjà plein de terre à l'intérieur. je ne sais pas comment je faisais. Mes parents étaient très étonnés de me voir. Ils avaient de la merde dans les yeux. Ou c'est moi qui en avait. Je n'avais pas froid aux yeux. Car la merde débordait. Elle me débordait à l'œil. je ne savait plus rien dire. Une pleine louchée. Un bon coup de bêche et la bouche se remplissait aussi. Ou c'est moi qui en était rempli. J'étais rempli de merde et je vidais le tout dans le jardin. Et mes parents croyaient que c'était de la terre. Toute cette merde dans la bouche. et dans les cheveux. Je les vois encore tourner autour. Ils tournent autour de la bêche. Ils veulent taper dedans. Pour voir si c'est du lard ou du cochon. On ne sait jamais avec celui-là. Si tout est véridique. Il fallait voir dedans. Et taper sans prévenir. Mais taper la merde vous éclabousse. Il fallait avoir le cœur bien accroché. Pour en avoir le cœur net. Mais le cœur n'est jamais net. Combien de fois mon père a décroché. Car il n'y avait personne au bout. Tout le monde en avait marre de ses salades. Toujours à repiquer les mêmes. Et moi je fais pareil. Je repique mes salades. Combien de temps ça dure. Combien de temps ça met pour pousser. toutes ses saloperies. Combien de temps ça met à pourrir. Ça pourrit au fond de nous. Et c'est nous-mêmes qui pourrissons. Combien de fois j'ai vu mon père pourrir. Il pourrissait par moi. Mais c'est lui que je voyais pourrir. Je voyais ses salades. Rarement on a pu tomber d'accord. Comment il fallait qu'on les plante. Moi je plantais autrement. J'ai toujours voulu planter autrement que lui. Et je ne me plantais pas toujours. Parfois ce n'était pas prévu. Ce n'était pas dans mes plans. Excusez-moi du jeu. Mais ici je ne joue plus. Mon père pouvait rester planté. Il peut planter ici tant que ça lui plaît. Moi je plante autrement. Je me suis assez planté là-dessus. Fini la rigolade. Maintenant je veux qu'on l'enfonce autrement. Qu'on me l'enfonce et pas seulement au trou. Ou alors au sien de trou. Celui qui est le sien à moi. Qu'on soit à se boucher le trou de soi par lui. Qu'on se l'enfonce une bonne fois. Et qu'on n'en fasse plus état. Qu'on fasse état que de soi. De nos salades. Mais moi j'enfonçais pas. Je plantais pas comme ça. Et ça ne restait jamais. Rien qui venait pousser. Ça nous met toujours hors de nous. Le fait que ça pousse pas. Alors qu'on aurait pu pousser un peu. On aurait pu pousser jusqu'à ses derniers retranchements. Jusqu'à ce que ça tienne dedans. Et qu'on soit sûr du résultat. Même s'il est nul. Si on arrache un nul. C'est toujours ça de pris. Bien pris n'est plus à prendre. Voilà ce qu'on dira. Qu'il a bien fait d'en rester là. Avec son nul. Qu'on ne nous y prendra plus. Qu'on nous prenne pour des nuls. Mais c'est lui qui nous prend. Le nul nous prend pour lui. Et il nous pousse à être. Pour qu'on soit nul. Pour qu'on soit dans la faute. Il nous pousse en lui-même. En le lui du nul de nous. Ou de lui-même. Car il n'existe pas. C'est hors du lui qu'il nous met. Il met plus nul. Car hors de nous. Mais dans notre vrai nul. On ne sait plus. On ne sait plus combien de temps a duré tout ce nul où on était. Où on croyait être. Où on a cru durer en l'être. On a toujours cru qu'on allait faire durer. Jusqu'à temps qu'on y vienne. Qu'on vienne au moment où il faudrait être. Car être dans son nul ce n'est pas être. Tout au moins on le croyait. Alors que si. Si on est nul on est. Et on est prêt de naître. Voilà ce qu'il disait. Qu'on mettrait le temps qui faut. Mais qu'il nous faudrait être. Comme un vrai nul. Un vrai nul homme de lui. Voilà ce qui nous faut. Il nous faudrait tout annuler et tout revoir dedans. Refaire les plants. Et puis laisser pousser. Laisser la nullité remplir. Laisser pousser son nul. Comme je me laisse pousser les poils.
Charles Pennequin, Purge, Site Le Terrier.net
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