Jean-Paul Durin
On part pour s’éloigner du lieu qui nous a vu naître
et voir l’autre versant du matin. On part à la recherche de nos naissances
improbables. Pour compléter nos alphabets. Pour charger l’adieu de promesses.
Pour aller aussi loin que l’horizon, déchirant nos destins, éparpillant leurs
pages avant de tomber, quelquefois, sur notre propre histoire dans d’autres
livres.
On part vers des destinées inconnues. Pour dire à ceux
que nous avons croisés que nous reviendrons vers eux et que nous referons
connaissance. On part pour apprendre la langue des arbres qui, eux, ne partent
guère. Pour lustrer le tintement des cloches dans les vallées saintes. À la
recherche de dieux plus miséricordieux. Pour retirer aux étrangers le masque de
l’exil. Pour confier aux passants que nous sommes, nous aussi, des passants, et
que notre séjour est éphémère dans la mémoire et dans l’oubli. Loin des mères
qui allument les cierges et réduisent la couche du temps à chaque fois qu’elles
lèvent les mains vers le ciel.
On part pour ne pas voir vieillir nos parents et ne
pas lire leurs jours sur leur visage. On part dans la distraction de vies
gaspillées d’avance. On part pour annoncer à ceux que nous aimons que nous
aimons toujours, que notre émerveillement est plus fort que la distance et que
les exils sont aussi doux et frais que les patries. On part pour que, de retour
chez nous un jour, nous nous rendions compte que nous sommes des exilés de
nature, partout où nous sommes.
On part pour abolir la nuance entre air et air, eau et
eau, ciel et enfer. Riant du temps, nous contemplons désormais l’immensité.
Devant nous, comme des enfants dissipés, les vagues sautillent pendant que la
mer file entre deux bateaux. L’un en partance, l’autre en papier dans la main
d’un petit.
On part comme un clown qui s’en va de village en
village, emmenant ses animaux qui donnent aux enfants leur première leçon
d’ennui. On part pour tromper la mort, la laissant nous poursuivre de lieu en
lieu. Et on continuera de faire ainsi jusqu’à nous perdre, jusqu’à ne plus nous
retrouver nous-mêmes là où nous allons, afin que jamais personne ne nous
retrouve.
Issa Makhlouf,
Mirages, Éditions José Corti, 2004